En tant que graphothérapeute, je suis régulièrement amenée à parler de l’écriture manuscrite et j’entends souvent dire qu’aujourd’hui l’on écrit de moins en moins. Cela va de la simple remarque au constat amer ou au contraire enthousiaste. Ecrire de moins en moins n’est une bonne nouvelle pour personne : ni pour nous, ni pour nos enfants. Il n’y a à mon avis pas lieu de s’en réjouir.
Ecrire est l’un des fondements de ce qui fait notre humanité. Depuis l’époque des cavernes, l’homme cherche à laisser une trace personnelle. Les manuscrits d’écrivains offrent des perspectives passionnantes à bien des niveaux, pour comprendre leur processus de création notamment. L’écriture manuscrite est par définition propre à chacun et tout simplement irremplaçable. En tapant sur les touches d’un clavier d’ordinateur, neurologiquement parlant, nous n’apprenons rien ou pas grand-chose. Je ne suis pas bien sûr en train de dire qu’il faut cesser immédiatement l’usage de cet outil ! Je pense simplement qu’il faut le remettre à sa juste place : celle d’un outil, et ne pas, pour les adultes, perdre le lien avec l’une de nos particularités d’humains et, encore plus grave, pour les enfants, les empêcher de créer ce lien.
L’homme doit précieusement préserver tout ce qui favorise son indépendance et son humanité. Il est capital de ne pas s’en remettre à des machines et de rester vigilant quant à l’utilisation des nouvelles technologies afin de profiter de ce qu’elles peuvent nous apporter sans pour autant nous laisser déposséder de ce qui fait de nous des humains. Dans le film d’animation Wall-E, l’espèce humaine vit désormais sur un vaisseau spatial où elle a cessé toutes les activités requérant le moindre effort physique. Elle a ainsi perdu l’usage de ses jambes et se déplace uniquement sur des fauteuils volants. La norme est donc l’obésité massive et la conduite du vaisseau a été confiée à un pilote automatique. Or, celui-ci obéit à un ordre donné sept cents ans plus tôt, qui condamne l’espèce humaine à ne pas pouvoir retourner sur terre. Le destin de l’humanité est alors entre les mains du capitaine du vaisseau qui doit déployer un effort devenu surhumain pour se lever et appuyer sur le bouton grâce auquel il pourra reprendre le contrôle de la situation et interrompre la machine à qui la destinée de l’humanité a été confiée. On peut aussi penser au livre de Barjavel, Ravage, dans lequel une simple panne d’électricité provoque la mort d’une quantité innombrable de personnes tout simplement parce que les hommes ont construit des bâtiments si hauts et ont tellement cessé d’utiliser leur capacité de marcher qu’ils sont désormais incapables de descendre les escaliers à pied… Je pense qu’il serait tout à fait possible d’écrire une dystopie sur un monde où l’écriture manuscrite aurait disparu…
Comme je le disais dans mon article précédent, Le poids des mots, l’écriture fait partie de l’identité d’une personne. Les graphothérapeutes aiment à penser que toute écriture est une signature. Être en difficulté avec son écriture entraîne souvent pour le moins un inconfort au moment de rédiger quelque chose qui doit être relu, cela est au moins autant vrai pour les enfants que pour les adultes. Une personne incapable d’écrire est une personne handicapée socialement. Les personnes analphabètes sont considérablement gênées dans leur vie quotidienne, gêne à laquelle vient parfois s’ajouter une honte qui constitue un autre handicap. Certains déploient des trésors d’imagination pour dissimuler leur situation. Cela fait même parfois l’objet de fictions. Je pense notamment au personnage de Sandrine Bonnaire dans le film La Cérémonie de Claude Chabrol. Malgré toutes ses stratégies pour dissimuler son analphabétisme, celui-ci est découvert et le personnage a tellement honte qu’il ne peut se résoudre à accepter l’aide qui lui est proposée, choisissant dans un premier temps le chantage… puis le meurtre (il y a bien sûr d’autres facteurs qui entrent en jeu mais celui-ci est loin d’être négligeable) !
Je suis étonnée du nombre d’enfants en difficulté avec leur écriture que je reçois pour lesquels la seule solution proposée a été l’utilisation d’un ordinateur. Je ne dis pas que dans certains cas, ce n’est pas une solution à envisager. Je dis simplement qu’à mon avis, il est plus que dommage de ne pas tenter une rééducation de l’écriture avant de franchir cette étape décisive pour le reste d’une vie. J’ai choisi ce métier notamment parce que je considère que rien n’est jamais perdu pour personne. Je prépare un article au sujet d’un élève dyspraxique qui avait pour seul horizon le passage à l’ordinateur : nous avons fait une rééducation et il écrit aujourd’hui tout à fait normalement…
En conclusion, je pense que, au cours de la scolarité d’un enfant, le passage à l’ordinateur doit être envisagé avec la plus grande prudence et proposé uniquement en cas de situation de handicap empêchant l’écriture manuscrite ou quand une rééducation de l’écriture a été tentée sans succès. Il faut bien garder à l’esprit que, pour utiliser aisément un ordinateur, une formation approfondie à la dactylographie est indispensable sans quoi l’enfant se retrouvera en situation de surcharge cognitive. Les scientifiques pourront également témoigner du fait que taper des formules sur un ordinateur est considérablement plus compliqué que de les écrire à la main. Quant à nous, adultes, je pense qu’il est important que nous maintenions un minimum notre capacité à écrire pour toutes les raisons que j’ai évoquées plus haut. Elles sont loin d’être les seules : il existe de nombreux arguments scientifiques permettant de comprendre pourquoi l’écriture ne peut être remplacée par l’ordinateur (le danger de la lumière bleue des écrans, l’absence de mémorisation par le geste et donc l’augmentation considérable des difficultés orthographiques, syntaxiques et grammaticales, la richesse lexicale limitée tout comme la capacité de synthèse et la mémorisation…). J’ai choisi ici d’aborder cette question sous l’angle de l’humanité et de l’apprentissage car ce sont des aspects qui me parlent particulièrement mais ces études sont également passionnantes et j’y consacrerai prochainement un nouvel article.
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